Bonjour,
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Je vous propose un retour d'expérience en image de l'utilisation de l'ensemble
boitier M9 +
objectif 16-18-21 +
viseur grand angle universel. Le texte ci-dessous comporte de nombreuses digressions qui risquent d'ennuyer les pratiquants aguerris mais qui, je l'espère, intéresseront au moins les novices : les viseurs externes, le pré-réglage, la photo au grand angle, etc.
Toutes les photos ont été prise avec ce matériel. Elle sont à considérer indépendamment les unes des autres et sans lien direct avec le texte.
Vos commentaires et critiques sont bienvenues.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, voici un résumé du chemin qui m'a mené à cet outil.
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À la base, mon intérêt pour la photographie est lié à ma soif de grands espaces et à mon envie de "capturer" cette vastitude. Capturer pour mieux partager, pour revivre le voyage en regardant les photos et ainsi donner envie de repartir au grand air.
Assez tôt j'étais arrivé à la conclusion qu'un objectif grand angle serait un outil idéal pour capturer des paysages tels que je me les représentais. J'ai ensuite appris par expérience que ça ne convenait pas à tout et que l'on pouvait capturer des images intéressantes avec des angles de vue de très large à relativement étroit. Malgré cela les objectifs grands angles ont gardé une place spéciale dans ma sacoche.
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Je franchis le pas il y a plusieurs années et j'investi dans un ensemble boitier reflex + objectif ultra grand angle. Quelques temps après d'autres objectifs viennent s'ajouter au système - le grand angle n'était pas suffisant.
La sortie du M9 ravive mon intérêt pour le système M que je m'étais contenté de regarder de loin pendant toutes ces années. Je teste en louant un M8, puis décide de me lancer. Je revends mon premier objectif - l'ultra grand angle pour reflex - avec l'intention de le remplacer par un objectif M.
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Le hasard fait bien les choses : 6 mois plus tard l'opportunité d'acheter un tel objectif coïncide avec l'arrivée de mon M9. J'achète le 16-18-21 avec le viseur en répondant à une annonce sur ce forum. Merci Summinux.
J'ai ainsi changé d'outil.
À part la méthode de visée / mise au point - le fait de passer du dépoli à la visée télémétrique - et le mode de mesure de lumière plus limité en M, il y a peu de différence dans mon utilisation des deux types d'outil (réflex et télémétrique). Dans les deux cas il s'agit de capter une certaine quantité de lumière avec un certain angle de vue.
Cela dit avoir un viseur externe oblige à changer certaines habitudes.
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Pourquoi un viseur externe ?
Le cadre le plus large disponible dans le viseur du M9 est celui du 28 mm. On place un viseur externe sur le boîtier pour pallier cette limitation lorsque l'on souhaite avoir une visée grand angle.
Utiliser un viseur externe avec le système M est
a priori une démarche étrange. On se retrouve à contrôler/ajuster la mise au point en regardant dans le viseur du boîtier et contrôler/ajuster le cadrage en regardant dans le viseur externe ... alors que c'est précisément ces deux choses qui avaient été rassemblées dans l'unique viseur du Leica M3 en 1954 ! On revient en quelque sorte au Leica II de 1932.
C'est grave ? Pour moi non. On perd un peu en efficacité, mais c'est pas catastrophique. En fait le viseur grand angle universel apporte tellement que ce "défaut" est - pour moi - très largement compensé.
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Le viseur grand angle universel, parlons-en !
C'est un monstre ! Il est relativement gros sur le boitier. Les lignes de l'ensemble sont moins harmonieuses, le viseur manque de rondeurs. Un mauvais point quand on accorde de l'importance à l'esthétique de l'outil. Pour certains photographes c'est éliminatoire.
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Ok, beaucoup le trouvent laid. Qu'offre-t-il en contrepartie ?
- La visée est très confortable : vue large et lumineuse.
- Comme le viseur du boîtier, ce viseur externe offre un angle de vue fixe et un choix de cadres pour les différents angles de vue photographiés.
- Les cadres disponibles correspondent aux angles de vues capturés avec des objectifs de focale 16 mm, 18 mm, 21 mm, 24 mm et 28 mm (pellicule ou capteur 24x36).
- Le choix du cadre se fait manuellement en agissant sur un sélecteur.
- En plus du sélecteur de cadre, le viseur propose un sélecteur de correction de la parallaxe pour plusieurs distances de mise au point : 0,5 m, 0,7 m, 1 m, 2 m, infini.
- Et la cerise sur le gâteau : le viseur incorpore un niveau à bulle que l'on peut contrôler ... simplement en regardant dans le viseur, il permet si on le souhaite d'éviter de pencher le boîtier en avant/arrière et de côté. Pour les photos types paysage et architecture, c'est génial !
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Donc, côté fonctionnel, c'est tout bon ?
Pas tout à fait, il faut faire avec les caractéristiques suivantes :
- En regardant dans ce viseur externe on n'observe pas une image comme un objectif grand angle rectilinéaire M la capture. On constate que les cadres sont "déformés" comme par une forte distorsion en barillet. Conséquence : les lignes droites ne sont pas droites dans le viseur. Il faut donc être vigilant sur le choix et le positionnement des repères d'alignement (horizon, verticale d'immeuble, etc).
- La sélection du cadre est uniquement manuelle, le cadre utilisé pour viser peut donc être différent de l'angle de vue de l'objectif si on n'y prend pas garde, et ça peut facilement gâcher une photo.
- Le problème se pose également avec la correction de parallaxe, mais les conséquences d'une erreur sont moins graves d'après mon expérience.
- Le niveau à bulle n'est utilisable qu'en tenant le boîtier à l'horizontale, en position verticale il faut avoir recours à d'autres repères.
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À l'usage, ça donne quoi ?
Après un peu de pratique, on s'y fait. Le viseur externe - qui peut être perçu comme un boulet dans les premiers temps - devient par la suite une extension du reste du système. Les cadres disponibles sont bien adaptés à l'objectif 16-18-21. Pour ma part j'utilise également le viseur avec un objectif 28 mm dans certaines situation : la visée y est bien plus confortable que dans le viseur du boîtier.
Je pense que l'on utilise "correctement" le viseur externe comme on utilise "correctement" le couple boîtier+objectif sans viseur externe : en pratiquant le pré-réglage. Je reviens sur ce point un peu plus loin. Je mets "correctement" entre guillemets dans ma phrase car forcément différents photographes ont différentes techniques adaptées à leurs différentes pratiques. Mais je pense qu'avec l'ensemble boîtier/objectif/viseur dont il est question dans ce message le pré-réglage est incontournable.
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Concernant l'objectif...
Le Tri-Elmar 16-18-21 f/4 Asph. est un objectif dont l'angle de vue horizontal varie entre 81º pour 21 mm et 97º pour 16 mm en passant par 90º pour 18 mm - ceci en 24x36. C'est un objectif zoom grand angle rectilinéaire. Pour référence on est à 65º pour un objectif de 28 mm. Je l'utilise souvent à 18 mm, car c'est assez simple de visualiser les 90º en observant à l'oeil la scène à photographier, et je passe à 16 mm quand il me faut un peu plus, et 21 mm pour un peu moins.
Si on le souhaite on peut "régler le zoom" sur d'autres positions que 16 mm, 18mm ou 21 mm. Mais ça me semble superflu : il est plus naturel d'utiliser l'une des trois positions prévues car la bague de sélection y offre une certaine résistance afin d'éviter les changements accidentels ... et accessoirement ça permet d'obtenir un résultat plus proche de ce que l'on voit dans le viseur.
La distance minimale de mise au point est 0,5 m.
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Prendre deux photos d'une même scène, une à 16 mm et une à 18 mm, ou alors une à 18 mm et une à 21 mm, donnera deux photos qui peuvent être relativement proches. Par contre je trouve qu'entre une photo à 16 mm et une à 21 mm la différence est plus marquée. Il n’est pas nécessaire d'attendre de voir les photos sur écran ou sur papier pour s'en rendre compte : il suffit de regarder dans le viseur externe et d'actionner le sélecteur de cadre. Un peu comme on le fait sur le boîtier : "j'ai un 50 de monté, mais je suis curieux de voir ce que ça donnerait avec un 90". Par contre, je l'ai signalé plus haut, à la différence du sélecteur de cadre du boîtier, celui du viseur externe est uniquement manuel - il ne va pas revenir à la position initiale automatiquement et donc il faut veiller à ce que le viseur externe et le zoom de l'objectif restent en phase. Prendre une photo en visant à 16 mm alors que l'objectif est à 21 mm aura pour conséquence qu'il manquera une grande partie de la scène que l'on souhaitait photographier.
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Et sinon, à quoi il ressemble cet objectif ?
Il est compact, il a un pare-soleil métallique court. Il comporte une bague de zoom, une bague pour l’ouverture et une bague pour la distance de mise au point. Si on regarde ce qui se fait tous systèmes confondus, on constate que les objectifs grand angle M sont tous relativement compacts. Le 16-18-21 est le plus encombrant du lot hors Summilux. Par rapport à d'autres objectifs M, il est un peu plus gros qu'un 50 LA à pare-soleil déployé et un peu moins gros qu'un 90 AA à pare-soleil rentré.
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"Red edges"
C'est un vrai problème avec de nombreux objectifs grand angle sur M9 : les bords de l'image prennent une coloration magenta plus ou moins marquée selon le modèle d'objectif, selon l'exemplaire de l'objectif... et selon l'exemplaire du M9.
De base le 16-18-21 a plutôt bonne réputation, il serait moins sujet à ce problème que d’autres objectifs. Avec l’ensemble que j’utilise, le défaut est rarement visible, il ne l'est que lorsque certaines de ces conditions sont réunies ensemble : basse lumière, zone d'ombre, haute sensibilité, vaste zone à coloration uniforme - voire neutre (ciel gris). C'est plus marqué à 16 mm qu'à 21 mm. Quand c'est visible ça reste assez discret. Des solutions de post-traitement existent. La solution de facilité, quand l'image s'y prête, c'est de passer celle-ci en noir et blanc.
(note: à voir ce que ça donne avec le
firmware de juin 2011, je ne n’ai pas encore utilisé)
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Distorsion géométrique
Dans l'absolu le 16-18-21 n'a pas énormément de distorsion géométrique. Il a une déformation en barillet au centre de l'image (presque l'ensemble de l'image à 21 mm), et une déformation en coussinet autour. Globalement - avec le boîtier à l'horizontale - les lignes horizontales ne sont pas déformées. Par contre la déformation des lignes verticales est rapidement visible, surtout en photo d'architecture.
Utiliser un outil comme PTlens en post-traitement permet de redresser l'image quand c'est nécessaire.
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À propos des images grand angle
À ne pas confondre avec la distorsion géométrique évoquée ci-dessus, d'autres phénomènes compliquent l'utilisation d'un objectif grand angle :
- L'anamorphose de volume : les éléments sur les bords de l'image sont comme étirés. C'est très visible avec un objectif ultra-grand angle rectilinéaire. En fait, c'est un peu lié à la distorsion géométrique dans le sens où une distorsion en barillet va réduire l'anamorphose de volume, et une distorsion en coussinet va l'accentuer. Il existe des solutions de post-traitement. Sans correction, à 16 mm, avec un sujet en bordure de l'image : c'est très visible.
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- Maintenir l'horizontalité est généralement souhaitable, mais c'est souvent difficile dans une photo prise avec un tel objectif. Le niveau à bulle permet lorsqu'on s'applique d'éliminer le problème même pour les photos prises à 16 mm. Sinon c'est facile de corriger au post-traitement.
- Les photos prises en plongée/contre-plongée avec un objectif ultra grand angle exhibent des verticales convergentes. Là encore on a recours au niveau à bulle lorsqu'on veut l'éviter. Là encore on peut corriger au post-traitement.
Pour les deux points précédents le post-traitement spécifique est rarement nécessaire dans la mesure où on aura plutôt tendance à prendre une photo en restant bien horizontal (vous l'aurez compris : grâce au niveau à bulle) et éventuellement à recadrer la photo pour supprimer une partie du haut et/ou du bas. On profite du grand angle de vue qui fait que, par exemple, on n'aura moins besoin de viser vers le haut pour photographier un bâtiment dans son ensemble. Je procède souvent comme ça, le post-traitement reste alors relativement simple, même si cela peut avoir pour conséquence de produire des images au rapport 2:1 plutôt que 3:2.
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À propos du pré-réglage
Voici un mini-guide adapté à ma pratique avec ce matériel :
- pré-régler [1] le zoom et [2] la distance de mise au point de l'objectif selon le sujet / la scène et en fonction de ce que l'on veut
- pré-régler [3] le sélecteur de cadre et [4] le sélecteur de distance du viseur externe à la position correspondante
- pré-régler l'exposition - [5] sensibilité et [6] temps de pose sur le boitier, [7] ouverture sur l'objectif - selon le sujet / la scène, la lumière, ce que l'on veut, etc, faire attention au fait que l'on aura facilement de grands écarts de luminosité dans la scène photographiée avec le grand angle
Soit dans le pire des cas 7 réglages à effectuer. Pas forcément dans cet ordre.
Comme on anticipe en pré-réglant régulièrement et/ou peu avant de prendre la photo, on n'a rarement à faire tout ça au dernier moment. On peut alors se concentrer sur le cadrage, éventuellement ajuster la mise au point, et déclencher au bon moment.
Tout est question de rigueur : un changement sur [1] doit donner lieu à un changement sur [3] et inversement, un changement sur [2] doit donner lieu à un changement sur [4] et inversement.
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Au fait, et la qualité d'image ?
Elle est excellente. Je pense qu'il est difficile de prendre ce matériel en défaut, il appartient au photographe de soigner sa technique. En particulier, faire attention à la mise au point. En effet la négligence du photographe lors de la prise de vue ainsi qu'un mauvais réglage du télémètre ont des conséquences visibles sur le résultat final. Prendre garde à l'horizontalité lors de la prise de vue si c'est important permet d'éviter ou limiter la dégradation de l'image induite par le post-traitement.
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Conclusion
Un bon outil qui malgré ses contraintes apporte souplesse et efficacité sur le terrain tout en capturant des photos ayant une bonne qualité d'image. Ceci avec un ensemble relativement compact pour de l'ultra grand angle.
À tester avant d'acheter : l'ergonomie peut se révéler trop complexe pour les non initiés, par ailleurs il y a toujours le risque que le phénomène de "
red edges" soit trop visible selon les exemplaires et combinaisons du matériel et selon les conditions dans lesquelles on l’utilise.
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