Puisque ce fil démarre sur une citation de moi-même, je me sens plus ou moins concerné par les propos qui y sont tenus.
Je vais essayer d'être clair et objectif (sans jeu de mot
).
Il est des optiques que l'on maîtrise plutôt bien depuis pas mal de temps, et dont les années 1950-60 ont vu une certaine apogée : la formule de Gauss symétrique, qui a servi de base à la fois pour produire des 35mm, des 50mm, et même des 90.
Pour certaines optiques, on était déjà relativement proches de la perfection, et je crois qu'il faut être de mauvaise fois pour classer dans les "cul de bouteille" les summicron 50 comme le R de 1964, et les M de 1954 et suivants. Nikon a donné aussi dès 1959 un 2/50 Nikkor remarquable, parfaitement opérationnel aujourd'hui encore.
Comme on n'était pas équipés comme on l'est depuis deux décennies pour obtenir une grande puissance de calcul, ces optiques possèdent des défauts, qui sont essentiellement une non planéité du champs, une chute de résolution dans les angles, et un certaine astigmatisme.
Pourtant, il possèdent un rendu, obtenu par les ingénieurs de l'époque par tatonnement, qui reste remarquable.
On pourrait presque dire qu'ils sont harmonisés comme un harmonise une table de piano, ou de violon. Là aussi, dans ce domaine, les merveilleux Steinway des années 40 et 50, comme les inégalés Pleyel et Erard, étaient réglés de manière empirique, à l'oreille, possèdaient des défauts harmoniques, et, pourtant, ils ont une musicalité que ne possèdent pas les pourtant presque parfaits (sur la table de calcul) pianos Yamaha d'aujourd'hui.
Pour des optiques plus difficiles, les résultats sont bien sûr moins évidents, et un 35mm des années 50 possède des défauts plus voyants que les 50mm, en particulier du point de vue de la planéité du champs. J'ai eu un 35mm qui me gênait pour cette raison. Et plus on s'éloigne du 50mm, plus les résultats sont difficiles à obtenir.
Le test que j'ai fait des 19mm, et 21, dans la rubrique objectifs R, montre par exemple bien le progrès accompli par les opticiens de Leica depuis 30 ans.
Il serait donc évidemment inutile de chercher à obtenir un résultat techniquement parfait avec des 24 ou 28 mm des années 1960.
Il est également indubitable que lorsque Leica remplace une optique, c'est pour faire mieux.
Mais on peut dans certains cas se poser la question de ce qu'est ce mieux.
Pour moi (avis tout personnel), que les 35mm M soient maintenant rétrofocus et asphériques, ce n'est pas un mieux : ils sont plus lourds, plus proéminents, et n'ont pas ce modelé fascinant qu'avait la dernière version, qui a vécu au catalogue pendant près de 20 ans. Ils sont plus secs.
Mais si l'on a besoin d'une grande limpidité à pleine ouverture, de plans géométriques parfaits, c'est bien sûr vers l'asph. actuel qu'il faut se tourner.
Si l'on a besoin de compacité, et de "chaleur" pour de la photo de rue, le summicron ancien sera idéal.
Et, oui, si l'on veut que les coins de l'image se perdent dans un élégant flou comme on en voit sur de nombreuses photos anciennes
, c'est une vieille optique du type 3,5/35 qu'il faudra rechercher, fabriquée dans les années 1940. Mais là, on tombe évidemment, je le concède, dans la reconstitution historique. Mais, pourquoi pas ?
Je voulais dire que chaque époque a sa "signature", et que celle-ci ne dépend pas que de la technique pure, mais également de choix culturels, y compris dans la réalisation des optiques, et dans le rendu qu'on cherche à en obtenir.
En bref, ça fait longtemps que Leitz puis Leica est un grand opticien, et je considère (c'est mon avis discutable) que ces optiques appartiennent à l'histoire de l'optique, mais aussi à l'histoire de l'art photographique, comme d'ailleurs les optiques Schneider, Zeiss (de nombreuses formules utilisées par Leitz étaient des Zeiss et des Schneider), et aussi les optiques Nikon… vu la place que le Nikon F puis le F2 ont tenue dans la "grande photo".