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dimanche 25 février 2024 - 10:08
par KESAKO
Salut à tous, Paul Wolff fut un ambassadeur Leica connu pour ses belles photographies, ceci dans les années 30/40.
La ville de Montpellier organise une exposition (jusqu'au 15 avril 2024) sur ce "Doisneau Allemand", au Pavillon Populaire, Esplanade Charles de Gaulle.
Un livre consacré à Paul Wolff et à ses photos a aussi été publié à cette occasion.
Je n'y suis pas encore allé, le premier qui s'y rend nous raconte ?
L'entrée est libre.
Olivier
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mardi 27 février 2024 - 19:44
par guy
Bonsoir,
Je suis allé voir cette exposition le jeudi 22 février. Une présentation intéressante d'un photographe moins connu sous nos latitudes que dans son pays. Un professionnel assez représentatif du temps ou les photographes n'étaient pas considérés comme des artistes mais exclusivement comme des "illustrateurs" dont on attendait qu'ils montrent leur savoir-faire, et Paul Wolff n'en manquait manifestement pas. Avec aussi un point soulevé par le curateur (Gilles Mora) : la période couverte s'étend essentiellement sur l'entre-deux guerres et au mieux Paul Wolff fait preuve d'une "passivité pragmatique". Il a bien vu les sports d'hiver, les jeux olympiques, les voyages du Bremen, la jeunesse blonde à la plage, mais rien d'autre...
Il y avait aussi quelques boitiers d'époque exposés.
Posté:
jeudi 29 février 2024 - 10:27
par Alesane
"Passivité pragmatique" est moins détestable que "Pragmatisme aveugle" comme j'ai déjà pu le lire à propos de Paul Wolff, mais dénote de la part de son auteur au mieux une méconnaissance des conditions de vie d'un photographe à partir de 1930 en Allemagne, au pire une morgue condescendante pour le moins déplacée.
Paul Wolff n'a jamais été encarté au parti nazi, ni même apparenté. Il n'a jamais travaillé sur des commandes officielles, il a simplement fait son boulot parce qu'il avait, avec son associé Alfred Tritschler, une entreprise à faire tourner et une famille à nourrir. A l'époque le choix était assez simple, soit on collaborait, discrètement ou ouvertement, c’est-à-dire qu'on acceptait les commandes du régime, comme Albert Renger-Patzsch, avec un risque de retour de bâton ultérieur (je me suis toujours demandé comment Riefenstahl avait pu passer entre les gouttes), soit on refusait de collaborer, et le régime avait à sa disposition quelques moyens de faire regretter cette posture, soit on passait entre les gouttes en poursuivant son activité et sans se compromettre. C'est ce qu'on fait Wolff et Tritschler.
Ont-ils fermé les yeux quand la fumée piquait un peu, oui, bien sûr, mais comme l'écrasante majorité des allemands... et des Français, et d'autres d'ailleurs. L'exposition qui a a été consacrée à Wolff et Tritschler au Leitzpark à Wetzlar en 2019 & 2020 montrait la vie en Allemagne sous les années 30 mais sans réelle complaisance. Il n'y avait bien entendu aucune image critique à l'égard du pouvoir, mais quelques détails montraient que cette vie se déroulait dans un cadre pesant (c'est un euphémisme...).
J'aimerais un peu plus de compréhension et un peu moins de sous-entendus vis à vis de quelqu'un qui, en plus, a payé un lourd tribu familial à la guerre. Mais il est vrai que les critiques et pourfendeurs d'aujourd'hui n'ont pas connu l'Allemagne des années 30.
Posté:
jeudi 29 février 2024 - 14:17
par guy
Cher Alesane,
Je ne pensais pas amener une telle réponse en postant quelques commentaires assez simples. Mais cela me donne au moins la possibilité de préciser ma pensée.
Je ne sais pas si les expressions "une méconnaissance des conditions de vie" ou "une morgue condescendante" me concernent ou visent Gilles Mora, mais je ne vais pas me camoufler derrière les guillemets que j'ai placé autour de la citation "passivité pragmatique" de G. Mora. Si j'écris l'expression c'est que je l'endosse. Pour le reste, je ne fais aucun sous-entendu, si j'avais pensé que Paul Wolff était un suppot du parti nazi, j'aurais simplement écrit qu'il était un suppot du parti nazi. Je ne l'ai pas fait. J'endosse l'expression "passivité pragmatique", mais rien de plus.
Le mot pragmatique ne me parait pas controversé : P. Wolff est un professionnel qui gagne sa vie en livrant des produits à des commanditaires / acheteurs, ce qui implique diverses contraintes auxquelles il doit ou se plier ou changer de métier, ou changer de contrée. Et je n'ignore pas qu'il a connu (1919) l'exercice du changement de contrée.
Je crois que c'est le terme "passivité" qui accroche. Une part importante des photos est destinée à montrer le monde industriel et productif, elle le fait de façon très positive, mais difficile de l'envisager autrement. Ce qui finit par me provoquer une certaine gêne, c'est le systématisme de cette attitude dans tout ce qui est montré, y compris dans ce qui pourrait avoir un aspect plus personnel, moins institutionnel.
Une part des photos prises par Paul Wolff l'a été avant 1933, sans que cela ne montre aucune différence avant / après, ce qui me laisse l'impression que la contrainte politique n'a pas joué un rôle absolu dans les choix esthétiques de Paul Wolff. Il avait la possibilité de photographier un peu "en marge",
De même, le contenu même des photos ainsi que leur situation (Francfort, Rome, Paris, Amérique) montrent que l'agence lui procurait une vraie aisance matérielle, pouvant lui laisser une certaine marge de manoeuvre. Donc je pense que la contrainte économique, bien réelle (c'est un professionnel qui doit livrer à ses clients), n'est pas non plus absolue.
Est arrivé un moment ou Paul Wolff n'a plus le choix, ou que le coût du choix est tel qu'il en devient pratiquement impossible, sauf à avoir du goût pour le martyre.
L'intérêt pour moi de ce genre d'exposition, au-delà de l'aspect formel des photographies (c'est évidemment important), c'est justement de poser la question du moment ou filer en roue libre, en suivant les contrats ou les consignes, n'est plus suffisant.
En espérant n'avoir pas trop pourfendu...
Posté:
jeudi 29 février 2024 - 14:26
par guy
Pour JFK,
J'ai posté avant d'avoir vu votre participation. Mais cela ne me semble pas modifier la question. L'année 1933 n'est pas arrivée comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, la violence, qu'elle soit politique, économique ou sociale durait depuis la fin de la première guerre.
L'interrogation dépasse bien sûr le cas de Paul Wolff, l'intérêt c'est aussi d'aller au-delà : c'est de s'interroger sur le point de bascule ou le "je n'ai pas envie d'en parler" est finalement remplacé par le "pour ta santé, tu la ferme !"
Je cherche moins à juger un photographe de cette époque que je ne tente d'en tirer quelques leçons plus actuelles.
P.S. : ma formulation est maladroite, la période de l'après première guerre était violente, mais la période 1914-1918 n'est pas non plus un exemple de non-violence.
Posté:
jeudi 29 février 2024 - 15:08
par Alesane
Cher Guy,
Je suis très clair, mon propos ne vous était absolument pas destiné. Les propos visés sont ceux de Gilles Mora, ainsi que ceux de Michael Naulin dans Blind-Magazine. Je ne parle même pas de ceux de Magali Jauffret dans l'Humanité du 30 janvier...
Un commissaire d'exposition a un rôle extrêmement important car c'est lui qui décide quelles photographies seront montrées, et donc vues. Le choix ainsi fait peut venir, consciemment ou non, à l'appui de l'avis qu'on a sur un sujet ou un photographe. Je n'ai pas vu l'exposition de Montpellier mais j'ai l'impression qu'une partie de la production de Wolff a été oubliée.
Par ailleurs, et s'agissant d'une période très particulière, où l'écart, qui peut être de photographier l'horreur, est sanctionné de la pire des façons, je trouve ces propos déplacés. Bien entendu, Wolff aurait pu avoir une toute autre attitude, entrer en résistance, ou s'exiler. Il ne l'a pas fait, est-il pour autant fautif de quoi que ce soit, ne serait-ce que de "passivité" comme le sous-entendent les susnommés ?
Je rappelle qu'il n'y a jamais eu autant de résistants en France qu'en mai 1945. Par contre, un an avant, il y en avait infiniment moins.